NEW DELHI (INDE) : La criminalité financière et la cybercriminalité constituent les principales menaces criminelles mondiales et ne devraient cesser de s’intensifier à l’avenir, d’après la majorité des agents de police interrogés aux quatre coins du monde.
Le tout premier Rapport d’INTERPOL sur les tendances mondiales de la criminalité indique que plus de 60 % des agents interrogés considèrent le blanchiment d’argent, les rançongiciels, l’hameçonnage et les escroqueries en ligne comme des menaces élevées, voire très élevées.
Par ailleurs, plus de 70 % des agents interrogés s’attendent à ce que les infractions comme les attaques par rançongiciels et hameçonnage augmentent ou augmentent fortement au cours des trois à cinq prochaines années.
Ce rapport, réservé aux services chargés de l’application de la loi, rassemble les données transmises par les 195 pays membres d’INTERPOL ainsi que des informations et analyses détaillées issues des banques de données de l’organisation et d’autres sources. Il explique comment les domaines de criminalité s’entrecroisent et se renforcent mutuellement, et souligne l’importance de cerner cette complexité pour prendre des décisions policières collectives à l’échelle mondiale.
« Cette initiative, que nous continuerons à développer au cours des prochaines années, est un réel atout pour les services chargés de l’application de la loi des quatre coins du monde », ajoute-t-il.
Le rapport a été présenté à l’occasion de la 90ème Assemblée générale d’INTERPOL, qui a lieu cette semaine (du 18 au 21 octobre) à New Dehli.
La criminalité financière en tant que service
La criminalité financière et la cybercriminalité sont inévitablement liées, étant donné que la plupart des cas de fraude financière se produisent par le biais de technologies numériques (infractions commises à l’aide d’Internet) et que les cybercriminels dépendent de la fraude financière pour blanchir leurs bénéfices illicites. Dans ce contexte, si la « cybercriminalité en tant que service » est un phénomène criminel bien connu, la pandémie a accéléré l’émergence de la « criminalité financière en tant que service », qui s’appuie notamment sur des outils numériques de blanchiment d’argent particulièrement utiles pour les criminels cherchant à écouler ces fonds.
Les agents interrogés ont classé le blanchiment d’argent au premier rang des menaces criminelles dans le rapport d’INTERPOL, puisque 67 % d’entre eux le placent « haut » ou « très haut » dans leur liste. Les rançongiciels constituent la deuxième menace, à 66 %, et celle qui devrait prendre le plus d’ampleur, selon 72 % des agents interrogés.
L’information la plus inquiétante est probablement l’essor de l’exploitation et des abus pédosexuels sur Internet (OCSEA), que 62 % des agents interrogés ont classé au rang de troisième menace criminelle qui devrait augmenter ou fortement augmenter à l’avenir. La demande pour et la production de contenu OCSEA ont également fortement augmenté pendant la pandémie.
Si le trafic de stupéfiants a historiquement dominé la liste des menaces criminelles, la criminalité financière commise à l’aide d’Internet a connu un essor fulgurant ces dernières années, en particulier au cours de la pandémie mondiale de COVID-19. Pendant et après les confinements, les taux de migration vers le numérique ont bondi, puisque les activités professionnelles et personnelles se déroulaient presque exclusivement à domicile et en ligne.
La criminalité a, elle aussi, migré vers le numérique et les infractions financières commises à l’aide d’Internet, telles que les escroqueries aux faux ordres de virement, les escroqueries au président (cybercriminels se faisant passer pour des dirigeants), les escroqueries via le commerce électronique, ou encore les escroqueries aux placements, se sont inscrites en hausse dans la grande majorité des régions. Aujourd’hui, les attaques par rançongiciel ciblent des « poids lourds », à savoir de grandes entreprises, des États et des infrastructures critiques.
Afin de causer le maximum de dégâts et d’empocher le plus de bénéfices illicites possible, les stratégies des criminels s’appuient désormais sur des techniques comme la double extorsion, qui permet à la fois de crypter et de diffuser publiquement les données ou fichiers des victimes, en combinant le risque de perturbation des activités et le risque d’atteinte à la réputation.
Plus tôt cette année, INTERPOL a inauguré son Centre de lutte contre la criminalité financière et la corruption (IFCACC) afin d’apporter une réponse mondiale coordonnée à la croissance exponentielle de la criminalité financière transnationale. Le mois dernier, une opération coordonnée par l’IFCACC a permis d’arrêter 75 membres présumés de groupes criminels financiers d’Afrique de l’Ouest dans 14 pays et d’intercepter plus de 1 million USD ainsi que de précieux actifs et renseignements.
Deux résolutions relatives au renforcement de l’intervention d’INTERPOL en matière de criminalité financière et d’OCSEA via une coopération accrue avec les pays membres ont été soumises à l’approbation de l’Assemblée générale.
Une perspective régionale
Le rapport d’INTERPOL répartit les résultats entre cinq régions mondiales et révèle que, si certaines menaces criminelles sont élevées dans toutes les zones géographiques, d’autres varient en fonction de facteurs régionaux et nationaux.
Afrique
En Afrique, l’hameçonnage et les escroqueries en ligne sont considérés à la fois comme la principale menace actuelle (83 %) et comme les infractions les plus susceptibles d’augmenter au cours des trois à cinq prochaines années (72 %).
Le rôle majeur que les pays africains jouent dans les transactions mobiles et la migration du secteur financier vers le numérique est source d’innombrables avantages pour la région, mais cette croissance est également à l’origine d’une forte hausse des escroqueries bancaires en ligne (notamment via la fraude à la carte de paiement) et des escroqueries aux cybermonnaies.
La traite d’êtres humains, le trafic de stupéfiants et la criminalité organisée figurent aussi parmi les préoccupations majeures, d’après les conclusions du rapport.
Amériques et Caraïbes
Le trafic d’armes illicites représente la première menace criminelle (88 %) dans la région Amériques et Caraïbes d’après les agents interrogés, suivi des rançongiciels (84 %) et de l’exploitation et des abus pédosexuels sur Internet (83 %).
Le rapport d’INTERPOL anticipe que l’impression 3D facilitera la fabrication d’armes artisanales par les criminels, telles que les « armes fantômes », qui peuvent être fabriquées sans élément d’identification comme un numéro de série, ce qui rend le traçage des armes illicites plus difficile. Au cours d’une opération de lutte contre le trafic d’armes à feu menée par INTERPOL en 2022, les autorités de Saint-Kitts-et-Nevis ont procédé à leur première saisie d’armes fantômes, assemblées à l’aide de boîtes de culasse 80 %.
La cybercriminalité est considérée par les services régionaux chargés de l’application de la loi comme l’une des principales menaces à l’avenir ; les escroqueries en ligne, les rançongiciels et les escroqueries aux faux ordres de virement ont en effet été mentionnés par plus de 60 % des agents interrogés.
Asie-Pacifique (APAC)
La criminalité financière se hisse au premier rang des menaces criminelles dans la région APAC, en particulier la fraude financière (76 %) et le blanchiment d’argent (67 %), au coude à coude avec le trafic de drogues de synthèse, considéré comme une menace élevée ou très élevée par 67 % des agents interrogés. Le rapport précise que les drogues de synthèse, ou psychotropes, sont le deuxième type de stupéfiants le plus concerné par les notices et diffusions d’INTERPOL en provenance de la région APAC.
D’après 67 % des services régionaux chargés de l’application de la loi interrogés, le trafic de drogues de synthèse devrait augmenter ou fortement augmenter à l’avenir, de même que les cybermenaces comme les rançongiciels (79 %), les attaques par hameçonnage, les escroqueries aux faux ordres de virement, l’usurpation d’identité et la cyberextorsion (63 % respectivement).
Europe
Pas moins de 76 % des agents interrogés en Europe s’attendent à ce que l’exploitation et les abus pédosexuels sur Internet augmentent ou augmentent fortement au cours des trois à cinq prochaines années. Le rapport d’INTERPOL indique que la demande pour la diffusion d’abus en direct connaît une hausse constante ces dernières années, probablement accrue par la pandémie. Si les abus pédosexuels en direct et à distance se déroulent le plus souvent en Asie du Sud-Est, l’Union européenne en a récemment recensé plusieurs cas.
En Europe, les trois principales menaces actuelles sont l’hameçonnage et les escroqueries en ligne (62 %), le blanchiment d’argent (60 %) et le trafic de drogues de synthèse (57 %), d’après les agents interrogés.
Moyen-Orient et Afrique du Nord
D’après 89 % des agents interrogés dans cette région, la principale menace criminelle, et celle qui devrait s’intensifier le plus dans les prochaines années, est le trafic de stupéfiants précurseurs. Plusieurs sources mentionnées dans le rapport d’INTERPOL indiquent que le cannabis est le marché criminel de stupéfiants le plus répandu en Afrique du Nord. En revanche, les plus grandes quantités d’amphétamine (à savoir le captagon) saisies à l’échelle mondiale proviennent systématiquement du Moyen-Orient, première région productrice de ce type de stupéfiant.
La cybercriminalité, en particulier les intrusions informatiques, les attaques par hameçonnage et les rançongiciels, font également partie des principales menaces criminelles actuelles (78 %) et futures (89 %). Le rapport indique que certains pays du Moyen-Orient figurent parmi les cibles majeures à l’échelle mondiale et que les cybercriminels de cette région semblent privilégier les secteurs détenant des données client sensibles dans le but d’optimiser leurs bénéfices.