Communiquons, et nous les aurons

8 septembre 2006

The Wall Street Journal

LYON (France) – À l’approche du cinquième anniversaire du 11 septembre 2001, je voudrais faire part de mon point de vue sur les mesures que les services chargés de l’application de la loi ont prises pour réduire l’éventualité de futurs attentats – ce que nous faisons bien, ce que nous faisons mal et les défis qui restent encore à relever.

Avant le 11 septembre 2001, moins de 30 pays voyaient un intérêt à échanger des informations sur l’identité de terroristes présumés. Depuis le 11 septembre 2001, les services de police de plus de 100 pays se sont employés, ensemble, à identifier plus de 10 000 de ces terroristes. Soit près de cinq fois plus que le nombre d’individus connus avant le 11 septembre. Ces suspects figurent désormais dans la base de données générale d’INTERPOL sur les malfaiteurs présumés de tous types, un fichier qui ne constitue qu’une partie de tout un système mondial de communication policière sécurisée – qui n’existait pas avant le 11 septembre 2001.

Depuis ce jour, les polices ont procédé à plus d’un million de recherches dans cette base de données, obtenant plus de 130 000 réponses positives à leurs requêtes. Établir des liens entre des suspects et différentes formes de criminalité est l’un des moyens les plus efficaces d’obtenir des informations susceptibles d’aider la police à mettre en échec d’éventuels complots terroristes. Les terroristes entrent en relation avec d’autres malfaiteurs internationaux lorsqu’il s’agit de se procurer et de transporter du matériel, des fonds, des faux passeports, des informations et d’autres éléments dont ils ont besoin pour leurs attentats. Mettre au jour ces relations permet à la police de déjouer les complots en question et d’arrêter les personnes qui y sont associées.

Depuis le 11 septembre, les services de police de davantage de pays ayant échangé davantage d’informations au niveau international, un nombre plus important de malfaiteurs internationaux ont été identifiés et arrêtés, et plus de complots terroristes ont été déjoués. Entre le 11 septembre et aujourd’hui, le nombre de personnes recherchées chaque année par le canal d’INTERPOL en vue de leur arrestation a plus que doublé (passant à plus de 16 000 en 2005). Le nombre annuel d’arrestations de malfaiteurs recherchés au niveau international a plus que triplé (dépassant les 3 000 en 2005). En tout, plus de 14 000 malfaiteurs internationaux ont été arrêtés au cours des cinq dernières années.

Ces données statistiques montrent que partout dans le monde, les services chargés de l’application de la loi travaillent plus dur, qu’ils mettent davantage en commun les informations dont ils disposent et qu’ils sont plus efficaces que jamais dans leur lutte contre le terrorisme international. Il suffit de penser aux complots récemment mis en échec au Danemark, en Allemagne, au Maroc et au Royaume-Uni. Cette coopération d’ampleur mondiale est l’une des réussites méconnues de l’après-11 septembre.

Il est d’autres changements dont les statistiques ou les médias ne rendent pas compte, dont l’un devrait être d’un grand réconfort pour les nombreuses familles et les proches de ceux qui ont péri dans les attentats du 11 septembre. Pour la première fois dans l’histoire, un responsable de la police d’une ville, Raymond Kelly, du Département de police de New York, a dépêché un enquêteur lors de chaque déploiement d’une cellule de crise d’INTERPOL, au lendemain d’attentats terroristes. D’ordinaire, le soutien à INTERPOL provient de policiers fédéraux. Bien que l’importance de ce que je relève ici ne saute pas aux yeux, la ville de New York – et avec elle tous les pays du monde – trouve son compte dans de telles affectations internationales de policiers locaux.

Au lendemain de l’attentat de Madrid, en 2004, par exemple, un enquêteur du NYPD a fait partie de l’équipe d’INTERPOL invitée par la police espagnole à prêter son concours à l’enquête. La police espagnole a informé INTERPOL (et donc le NYPD) de certains faits concernant les endroits où se trouvaient les explosifs, ce qui a permis à la police de New York et à d’autres pays de modifier leurs procédures de recherche d’explosifs. On n’avait tout simplement pas compris, avant le 11 septembre 2001, combien le déploiement de ressources policières locales était important.

Pour être honnête dans l’évaluation de la situation, il faut toutefois reconnaître qu’il y a eu des échecs, et que de dangereuses lacunes restent à combler, de toute urgence, dans la sécurité mondiale. L’échec le plus grave : Oussama ben Laden n’a toujours pas été arrêté ; mais expliquer comment il a réussi, depuis cinq ans, à échapper à la capture nécessiterait une analyse beaucoup plus longue qu’il n’est possible d’exposer ici.

Pour ce qui est des lacunes de nos dispositifs de sécurité, la plus flagrante est le risque qui nous menace de voir des terroristes entrer aux États-Unis et dans d’autres pays au moyen de passeports volés et falsifiés. Ces activités frauduleuses, qui font l’objet d’un rapport récemment publié par le Government Accountability Office des États-Unis, ont cours depuis bien trop longtemps. Le rapport du GAO – étayé par les conclusions de la Commission sur le 11 septembre – est un long descriptif de menées et de déplacements clandestins. Les passeports volés ou perdus y sont qualifiés de "documents de voyage convoités par les terroristes", et "des responsables reconnaissent qu’un nombre indéterminé d’étrangers non autorisés à entrer sur le territoire des États-Unis sont susceptibles d’y être entrés, en utilisant un passeport perdu ou volé".

Prenons un exemple : Yousef Ramzi, cerveau du premier attentat à la bombe contre le World Trade Center, en 1993, a pénétré aux États-Unis en utilisant un passeport iraquien volé. Même avec le renforcement de la sécurité qui a suivi le 11 septembre, il a été prouvé que des étrangers étaient entrés aux Etats-Unis et dans de nombreux autres pays au moyen de passeports volés et falsifiés, dont certains natifs de la ville où a vu le jour une cellule d’Al-Qaïda ayant aidé à planifier les attentats du 11 septembre. Quoi de moins réconfortant pour les nombreux passagers d’avions qui subissent régulièrement, parfois de façon envahissante, les désagréments causés par les consignes de sécurité actuelles que d’apprendre que cinq ans après le 11 septembre 2001, il ne soit toujours pas exigé que chaque passeport fasse l’objet de vérifications systématiques dans une base de données mondiale sur les passeports volés.

Avant le 11 septembre, nous avions une excuse valable : il n’existait aucune base de données de ce type. Ces quatre dernières années, en revanche, INTERPOL a constitué une base de données mondiale sur les documents de voyage volés ou perdus (SLTD), qui recense aujourd’hui le chiffre consternant de 12 millions de passeports volés ou perdus. Il a également mis au point la technologie nécessaire pour permettre aux fonctionnaires concernés d’accéder à cet outil ainsi qu’à d’autres bases de données d’INTERPOL depuis les aéroports, les postes-frontières et d’autres lieux sur le terrain.

Ce nouveau dispositif, inauguré en Suisse à la fin de l’année dernière, a des résultats. Chaque mois, plus de 20 000 policiers suisses effectuent plus de 300 000 recherches. Jusqu’ici, ces recherches ont permis de repérer en moyenne une centaine de personnes porteuses de documents déclarés volés ou perdus. Tant que d’autres pays ne se mettront pas à utiliser cet outil de protection des frontières (à l’instar de la France, à l’aéroport Charles de Gaulle), il demeurera une énorme lacune à combler dans le domaine de la sécurité mondiale.

Pourtant, ce problème ne constitue toujours pas une priorité urgente pour la communauté mondiale. Il faudra probablement un autre attentat de grande ampleur, commis par un terroriste se déplaçant avec un passeport volé et utilisant une arme biologique par exemple, pour que les pays considèrent la question comme ils considèrent actuellement la menace des liquides amenés à bord d’avions par des passagers.

Il existe encore d’autres dangers plus difficiles à discerner, à comprendre et à traiter. Internet renforce actuellement le nouveau phénomène que constitue le terrorisme "de l’intérieur". Grâce à Internet, Al-Qaïda, son héritage et la menace qu’elle fait peser perdurent, du point de vue tant de l’idéologie que des objectifs et des méthodes, même si son organisation est en passe d’être anéantie. Les organisations terroristes recourent à des milliers de sites Web, de sites de conversations en ligne, de babillards et de messages électroniques, exploitant le caractère anonyme d’Internet, l’absence de réglementation à son égard de même que sa vaste audience, pour recueillir des informations, donner des formations, lever des fonds, faire de la propagande, trouver des recrues et planifier des attentats.

Les nouvelles recrues n’ont plus, alors, à se rendre physiquement en Afghanistan ou au Pakistan pour être galvanisées et entraînées au terrorisme. Elles peuvent le faire virtuellement, par l’intermédiaire d’Internet. Pourtant, comme le montrent les complots récemment déjoués un peu partout dans le monde, leur but n’est pas virtuel, intangible ou imaginaire. Il est très réel. Il s’agit de tuer des innocents.

J’aimerais pouvoir dire, en particulier aux familles et aux proches de ceux qui ont disparu le 11 septembre 2001, que nous sommes aujourd’hui plus en sécurité que nous l’étions auparavant. Pourtant, je ne me sens en rien en sécurité lorsque je pense aux nombreux terroristes connus et inconnus qui ont pour objectif de nous tuer, un jour, dans n’importe lequel de nos pays. Témoin le fait que ben Laden et son second, Ayman al-Zawahiri, aient fait 17 déclarations filmées au cours de cette année, soit plus qu’au cours des quatre dernières années réunies.

Au lieu de débattre pour déterminer si nous sommes ou non plus en sécurité qu’auparavant, je dis que nous, organismes chargés de l’application de la loi, devons au monde d’être honnêtes envers nous-mêmes et envers les autres sur la question de savoir dans quels domaines nous faisons bien et dans quels domaines nous devrions procéder autrement.